Voici un extrait de mon exposé rédigé dans le cadre de l'élaboration de mon mémoire professionnel.
Jean-Luc Nancy, philosophe au cours de l’une de ses interview parut sur Youtube: « regarder, c’est regarder deux fois »Chaine Lacan TV, nous ferait part que le regard que l’on porte sur un sujet, une cause, une situation ou une chose implique un égard sur ce que l’on regarde. L’égard c’est porter de l’attention. « Ce qui retient le regard c’est la façon dont les choses nous regardent » (wie es aussieht) en allemand. Ce qu’on regarde est ce qui nous ai propre comme un regard de soignant, de philosophe ou encore de photographe, d’art-thérapeute. Dans cet exposé je vais tenter de vous parler du regard sur le handicap.
Qu'est-ce que le handicap ?
Ce terme apparait dans le dictionnaire de l’Académie française dans les années 1920 dans le sens de « mettre en état d’infériorité »,
« Leurs contours incertains révèlent, de fait, les normes de notre société. Selon les croyances et les conventions, les représentations et les pratiques, l’expérience d’un handicap revêt une signification sociale qui s’insère dans un contexte socio-historique et des pratiques sociales singulières ».
Dans mon ancienne fonction d’Auxiliaire de Vie Scolaire on nous présentait l’enfant tel un élève en situation de handicap alors qu’il serait peut-être plus adapté de l’accueillir dans sa singularité d’enfant. Il était d’office enfermer dans cette case bien définit.
Cette case rejoint la norme et le regard qu’on lui porte. Elle bouscule et interroge ce que nous appelons la normalité.
Alors qu’est-ce que la normalité ?
« La normalité est une fiction idéale », citation de Sigmund Freud.
C’est une notion subjective, qui dépend du point de vue de l’individu et objective en terme / du point de vue du collectif. La normalité collective est une représentation de la civilisation.
La normalité est en lien avec nos propres croyances. C’est notre réalité intérieure qui est façonnée par notre histoire. Cependant, la psychiatrie établit clairement ce qui est normal/pathologique sans considération de la normalité de l’individu. En ayant conscience que la normalité n’est que notre propre vision, notre signifiant, et bien cela rejoint l’importance de notre éthique de neutralité. Notre rôle d’art-thérapeute en devenir n’est pas d’encombrer l’espace de l’autre en laissant place à nos jugements mais d’être dans la rencontre, l’accueil, en vacances psychiques et en faisant ce pas de côté.
Selon Marc-Adélard Tremblay,* « l’intégration sociale est définie comme la capacité de l’individu d’assumer des rôles qui lui sont dévolus et de les tenir en se conformant aux normes culturelles et en respectant les attentes des autres. L’individu est capable de s’intégrer socialement dans la mesure où les modèles de rôles qui lui sont proposés comportent des définitions partagées ; ils deviennent anormaux quand ils s’éloignent des définitions coutumières».
Je souhaite mettre en évidence le fait que le regard social stigmatise le handicap. L’intégration social dépend de la capacité de l’individu.
Cela dépend donc du regard de la société mais qu’est-ce que le regard ?
D’un point de vu psychanalytique je tenterai de dire que ça pourrait être de ne pas accepter la castration que l’autre est différent concernant le regard sur le handicap. Il est en lien avec la pulsion scopique. La Bévue. Le regard qu’on lui porte / ce qui envoie à neutraliser le manque à être.
L’objet (a), l’objet perdu un bout de soi à l’extérieure que l’ont regarde. Donc une projection de soi-même bien refoulée, occultée ? Quand on dit handicap qu’est-ce qu’on dit ? Qu’est ce qu’on voit et qu’on entend ? Chez Lacan, « le handicap angoisse l’autre ». « C’est la part de vous mise à l’extérieur qui vous regarde; et qui devient réel, qui n’est pas imaginarisée, pas symbolisée ». (Article objets étranges etc).
« D’ailleurs, quand on dit en français que quelqu’un est une tâche, c’est pour caractériser quelqu’un qui n’est pas tout à fait à sa place. Donc, quelqu’un qui échappe au spectacle du monde ». (Article objets étranges).
L’inefficacité, ce sont les conséquences des troubles mentionnés par la personne elle-même et par les personnes qui l’entourent.
« Qu’il s’agisse de la vie quotidienne, du sport, de l’éducation ou des apprentissages, l’usage du terme devenu générique est souvent synonyme d’incapacité, de restriction, de limitation. »
Cette approche a le mérite de combiner la perception que la personne a d’elle même, et la perception que les personnes ont d’elle. Je comprends qu’il faut se désaliéner du grand Autre. Du regard de l’Autre. Le regard c’est le savoir sur l’autre, le regard se fait cause du savoir d’après Platon. Nous sommes bercé dans le langage de l’autre avant même la naissance. L’enfant pour certains a déjà un prénom puis il est baigné dans les projections et les attentes de son entourage. « Il sera comme un tel ou un tel »…C’est grandir dans le regard de l’autre finalement. Ça peut enfermer dans des croyances limitantes. Déconstruire pour reconstruire. Reconstruire sa singularité, « reprendre sa parole en main ». JP ROYOL. En tant que art-thérapeute nous nous devons de prendre en compte cela pour ne pas être dans des attentes et dans nos propres projections vis à vis du demandeur. Le demandeur doit se désaliéner du certains savoir qu’il nous porte. Notre singularité, c’est ce qu’on en fait de notre sinthome, notre handicap. En étant dans notre position de neutralité nous nous identifions et nous ouvrons à la créativité puisque nous laissons place au passage du souffle du neutre. Dans notre fonction nous sommes limités, sujet barré. Limité d’un savoir sur l’autre et limité de nous-même en tant que sujet. En écrivant je fais un nouveau lien : le handicap peut-il être considéré comme un ratage ? il s’agit d’une impossibilité à réaliser quelque chose, c’est une rencontre avec les limites du Réel. Le handicap (de soi ou de l’autre) nous met face aux limites du sujet barré. La rencontre avec le handicap, c’est une rencontre avec le Réel du sujet barré, ce qui m’évoque l’angoisse du Réel tel que le décrit Lacan : « le handicap fait resurgir cette angoisse du Réel ».
Quelque part, nous somme tous handicapés par la perte de ce fameux objet (a)… Le regard sur le handicap/l’incapacité/la dépendance est-il l’expression du regard porté sur la barre du sujet ? Elle est indépendante de la déficience qui est liée à la maladie.
Par exemple, si je suis paraplégique je suis handicapé pour marcher. Par contre je ne suis pas handicapé pour écrire, pratiquer une activité manuelle.Si je suis dyspraxique je suis handicapé pour écrire mais pas pour marcher, courir. Deux personnes ayant la même déficience n’ont pas forcément le même handicap : par exemple un aveugle qui a de bonnes capacités d’orientation et a appris à utiliser une canne blanche se débrouillera mieux qu’un aveugle qui n’a pas confiance en lui et ne quitte pas sa maison. Ce premier aveugle avec un peu d’expérience se montrera même plus à l’aise dans le métro parisien qu’un provincial sans déficience. Ainsi, le handicap concerne tout un chacun, avec ou sans pathologie : une personne d’1m50 est handicapée pour attraper les produits en haut des rayons du supermarché. Une personne très grande peut éprouver des difficultés pour se vêtir. Une personne timide est handicapée pour passer un entretien d’embauche.
Le handicap est une rencontre entre : une personne et ses capacités à l’instant T (un sujet), un environnement, une activité. Cette incapacité à réaliser une tâche est comparée le plus souvent par rapport à la capacité des autres à la réaliser , le handicap est donc considéré de plus en plus comme un écart à la norme sociale.
Cet écart in-sécurise certains. Ça renvoie à ce jeu de miroir et d’identification. Le handicap nous confronte à ce que nous refoulons, à nous même, nos fragilités.
De plus dans le langage courant « handicapé » est devenu un signifiant négatif, une étiquette fortement réductrice, au même titre qu’un diagnostic. Le danger est que le sujet s’identifie à la signification figée que les autres donnent à cette étiquette : une incapacité totale et complète à gérer sa vie, voire à mériter le nom de sujet ? Peut-être un axe d’approche serait de remettre ce signifiant en mouvement : c’est une rencontre entre un sujet et un contexte, le re-situer du côté de la "Tuchê", le remettre en mouvement, « re-poétiser » le handicap ?
Eléonore Legueult.
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